Convocation implicite

*Tintement du verre contre le verre. Ankar regarde la dernière goutte de whisky tomber dans son verre. Les glaçons se fendillent. Il repose la bouteille. Elle était déjà presque vide. Rien de grave. Une nouvelle l'attend. Plus tard. Ce soir. Ce serait un triste spectacle à donner.

Il prend son verre et va s'asseoir contre son bureau. Trois ans. Trois ans qu'il a vu ce gosse pour la première fois, et surpris l'assemblée dans laquelle il se trouvait en votant contre son emprisonnement, seul dans ce choix. Seul à ne pas condamner ce jour là la magie noire, ni le jeune homme... trop jeune. Un an qu'il a fait sortir ce gosse de prison. Huit mois qu'il le supporte. Pour en faire quelque chose. Deux mois qu'il ... ..

Ankar jette son verre contre le mur. Puis prend sa baguette, et la jette par la fenêtre. Accès de rage. Impuissance à se contrôler. Pourtant il faut. On ne tue ni ne torture pas les gens comme ça.

Il arrache sa cravate et la jette dans le foyer. Sa rage l'étouffe. Il voudrait pleurer. Hurler. S'arracher le coeur. Quelque chose.
Il y avait autrefois un endroit où il allait, quand les choses allaient aussi mal. Mais il est adulte. On ne peut plus se cacher de rien quand on est adulte.

Il finit par glisser par terre, assis contre  le pied du bureau. Sa veste échouée à côté de lui sans même qu'il se souvienne quand il l'a enlevée. Ses joues le brulent. Il détache le bouton de sa manche, et les essuie d'un geste.

Il a 30 ans. Il est un des piliers de cet état, certainement un des plus grands mages de cette époque sans avoir donné raison à ceux qui pensent qu'il basculera comme les autres mages noirs,  est encore en vie alors qu'une volonté plus puissante que nombre d'humains le parasite. Rien ne lui résiste. Toujours froids, méthodique, calculateur.

et il est assis par terre, enfermé dans son bureau, comme un gamin qui aurait piqué une crise. Un gamin capricieux qui ne peut pas avoir ce qu'il veut.
Mais voilà, il a trente ans. Trente ans à développer les secrets les plus inavouables de la terre, mais pas un seul amoureux. Sa vie privée est la magie noire. Trente ans que son coeur n'est intéressé par personne.

Sauf lui. Ce gosse, insupportable, égoïste, irréfléchi. Trompeur.
Et lui, il est tombé dans le panneau comme toutes ses autres coucheries. Félicitations. A quoi bon être intelligent et froid si son coeur est capable d'être aussi stupide et enflammé?

Il ferme les yeux.
Il a sa baguette.
Kevin finira par venir la réclamer.
Il faut qu'il se calme.
Que la tête reprenne le dessus*

C'est seulement dans la soirée que quelqu'un vient frapper à la porte. Kevin, lorsqu'il a commencé à s'entrainer, s'est rapidement rendu compte que sa baguette avait disparu. Après voir pensé à Envy et avoir un peu réfléchit, il a comprit qu'elle avait peut être quitté son sac quand il dormait en présence d'Ankar la veille.

*Les heures ont passé.
La cravate a fini de se consumer dans le feu, les débris de verre ont été nettoyés. La veste d'Ankar est posée sur le dossier d'une des chaises du bureau, sans un faux plis.

Ankar est assis à son bureau. Il écrit. Tranquille. Posé. Les trois coups à sa porte, qu'il attendait depuis un moment, se font enfin entendre. Il est prêt. Qu'importe ce qu'il ressent. Rien n'en est visible. Sourire calme, teint net, chemise impeccable et veston ajusté. Sa voix est claire et ferme*

Entrez.

La porte s'ouvre sur Kevin qui s'avance tranquillement, replaçant son sac sur son épaule. "Bonsoir. Vous vous doutez de ce que je viens chercher ?"

*Ankar lève les yeux vers lui* Oui, je pense.
*il pose son stylo et recule sa chaise pour ouvrir le tiroir du bureau dans lequel il a mis la baguette*

Je m'étonne que vous ne soyez pas venu plus tôt.

"Ah ouais ? J'ai mis du temps avant de comprendre parce que je pensais pouvoir dormir en votre compagnie sans qu'on me vole... Ni qu'on m'insulte d'ailleurs mais ça, c'est une autre histoire..." Il détourne le regard.

*Ankar sourit. Le même sourire qu'il sert à toute personne lui adressant la parole. Ce sourire aimable, un rien narquois
Il pose la baguette à plat devant lui et referme le tiroir*

J'ai trouvé votre baguette entre mon lit et le mur monsieur Anghers. Je voulais vous la rendre plus tôt ce matin mais la situation m'a semblé inadéquate.

Kevin regarde sa baguette, puis lève les yeux vers Ankar. Son coeur bat un peu plus fort. "Ce matin... En cours ?"

*Avançant à nouveau sa chaise, il reprend son stylo*

Non, bien sûr. Je n'aurai pas voulu perturber un si brillant exposé de votre professeur. J'espérais la poser dans votre chambre.

*il sourit à nouveau, de ce même sourire diplomatique*

Son regard bascule vers la baguette de nouveau alors qu'il ravale sa salive, sentant une certaine pression sur ses épaules d'un coup.

*Il se remet à écrire*

L'essentiel est que vous la retrouviez. Tâchez de vous en servir plus souvent, un sorcier qui passe une journée sans utiliser sa baguette est un concept qui m'échappe.

Kevin se reprend, son cœur bat tellement fort que chaque battement raisonne dans ses oreilles et tout son corps. Il s'avance pour attraper sa baguette.

*Ankar met un point à sa phrase et signe*

Je met vos propos accusateurs et familiers sur l'inquiétude d'avoir perdu votre baguette. Ne recommencez pas.

"J'ai agi sur un coup de tête et c'était stupide. Pardon". Il range sa baguette.

*Il pose son stylo et plie la lettre*

Il faudra vraiment que vous appreniez à vous exprimer. Mais cela fera l'affaire. Bonne soirée monsieur Anghers.

"C'est tout ?" Il fronce les sourcils. "C'est tout ce que vous comptez dire ? Ça ne vous touche pas plus que ça ?"

*Il s'arrête un instant dans son geste pour le regarder en coin* Ce n'est qu'une baguette, n'en faites pas un drame...

Kevin lève les yeux au ciel, soupirant. "Vous espériez la poser dans ma chambre. Avec votre petit sourire là, je sais ce que ça veut dire, je ne suis pas idiot. Vous comptez faire comme si rien ne s'était passé ?"

Ah. Oui, à ce propos. Vous n'aborderez plus ce sujet à l'avenir.

Kevin le regarde, surpris, ou plutôt perdu. "Qu.. "

*Il cachette la lettre et la pose sur le côté, puis en ouvre une autre*

Finissez vos mots, sinon nous n'en sortirons pas, et j'ai du travail.

"Donc vous ne me laisserez pas l'occasion de dire que j'ai fait n'importe quoi parce que j'étais énervé et que je le regrette parce que je v..." Kevin se stoppe d'un coup. Ses yeux s'agrandissent. Qu'est-ce qu'il allait dire là ? Il faut qu'il réfléchisse. Il tourne son regard vers la porte.

Monsieur Anghers. Je suis responsable de votre bonne conduite au yeux de la loi, pas de vos états d'âme. Si vous voulez qu'on vous affecte un psychologue faites en la demande écrite.

Kevin sent ses joues se réchauffer. Il baisse la tête, espérant faire passer ça pour un hochement de tête. "ok.. Hmhm. J'y vais... M'entrainer." Il se dirige rapidement vers la sortie.

*Ankar attend que la porte se referme. Puis il s'appuie contre le dossier de sa chaise, soupirant
Il attend que les pas de Kevin se fassent entendre dans l'escalier. Ensuite ... ensuite il pourra aller chercher sa baguette tombée quelque part au pied de la tour*